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Une mobilisation tardive face à une crise alimentaire chronique : entre promesses institutionnelles et urgence sur le terrain

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Vendredi 10 octobre 2025, à l’occasion de la présentation des résultats de la dernière classification IPC (Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire), le Conseiller-Président Louis Gérald Gilles a livré un discours empreint de gravité, mais également de promesses. Aux côtés du Directeur du Cabinet du Premier ministre Axène Joseph, du ministre de l’Agriculture Vernet Joseph et de représentants d’institutions internationales comme la FAO et le PAM, il a dressé un portrait sombre mais peu surprenant de la situation : environ 5,7 millions d’Haïtiens en insécurité alimentaire, dont près de 2 millions en situation d’urgence.


Ces chiffres, aussi alarmants soient-ils, ne sont pas nouveaux. Depuis plusieurs années, les données successives de la CNSA mettent en lumière une détérioration continue de la sécurité alimentaire, conséquence d’un enchaînement de crises politiques, économiques, environnementales et sociales. Pourtant, l’action publique n’a que rarement dépassé le stade des diagnostics répétés et des promesses cycliques.
Un plan de réponse ambitieux… sur le papier
Face à ce constat, le Conseil Présidentiel de Transition, par la voix du Conseiller-Président, a annoncé le lancement d’un Plan de Réparation et de Réponse aux Crises de Sécurité Alimentaire et Nutritionnelle. Ce plan se veut à la fois opérationnel et structurant, promettant :
• Une mobilisation rapide des ressources ;
• Un suivi financier transparent ;
• Un renforcement de la gouvernance ;
• Et surtout, une transformation de la CNSA en Office national de la Sécurité alimentaire et Nutritionnelle, censé incarner une nouvelle ère de coordination efficace.


Mais cette annonce, aussi structurée soit-elle, suscite scepticisme et interrogations. Car ce n’est pas la première fois qu’un plan d’urgence est lancé dans l’urgence… avant de sombrer dans l’oubli ou de s’échouer sur les récifs de la bureaucratie, du manque de volonté politique ou de la corruption endémique.


Des chiffres accablants, une action insuffisante


Au-delà des discours, les faits sont têtus : 5,7 millions de personnes, soit près de la moitié de la population, peinent à se nourrir convenablement. Cela représente des enfants déscolarisés, des femmes enceintes malnutries, des familles entières contraintes à des choix impossibles : manger ou se soigner, nourrir un enfant ou deux.


Et si le Conseiller-Président affirme que « nous pouvons sauver des vies, protéger les moyens d’existence et renforcer la résilience alimentaire du pays », encore faudrait-il que les politiques publiques sortent de leur inertie structurelle, que les aides parviennent effectivement aux plus vulnérables, et que les acteurs étatiques jouent pleinement leur rôle, au-delà des effets d’annonce.


Une réforme institutionnelle de plus ?


Transformer la CNSA en Office national de la Sécurité alimentaire pourrait théoriquement améliorer la coordination. Mais changer de nom ne suffit pas. Sans une autonomie budgétaire réelle, sans compétences renforcées, sans mécanismes de redevabilité, ce nouvel Office risque fort de n’être qu’un avatar administratif de plus dans un pays saturé d’institutions inefficaces.


Entre urgence et mémoire courte


La crise alimentaire actuelle n’est pas un accident. Elle est le fruit d’un abandon progressif du secteur agricole, de l’érosion des structures sociales rurales, de l’inflation incontrôlée et de la dépendance chronique à l’importation. Elle est aussi révélatrice d’un pays qui gère ses crises au coup par coup, sans vision de long terme.


Alors que les décideurs annoncent une mobilisation collective, la société civile, les ONG et les communautés locales — déjà en première ligne depuis des années — attendent des actions concrètes et mesurables. Il ne suffit plus de “souligner l’ampleur de la crise” : il faut enfin la traiter comme telle.

Mozard Lombard,
mozardolombardo@gmail.com

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