En Haïti, il existe des rendez-vous sacrés avec le destin, la foi et l’espoir. La fête de Notre-Dame du Mont-Carmel à Saut-d’Eau en fait partie. Chaque 16 juillet, depuis des décennies, cette petite commune du département du Centre, surnommée la ville du bonheur et des miracles, devient l’épicentre d’un pèlerinage multiconfessionnel unique au monde, où catholiques, protestants, vodouisants, hommes politiques et fidèles de tous les horizons – y compris de l’étranger – viennent communier, prier, danser, demander des grâces et honorer la Vierge Marie.
Mais cette année, le silence a remplacé les tambours, les prières se font à distance, et la peur a pris le pas sur la foi.
Une tradition suspendue
Chaque année, entre le 14 et le 16 juillet, des dizaines de milliers de pèlerins se rassemblent dans une ferveur spirituelle exceptionnelle. La cascade de Saut-d’Eau, que beaucoup considèrent comme un site mystique où la Vierge serait apparue en 1849, devient le théâtre de purifications, de bains rituels et de célébrations profondes, à la croisée du christianisme et du vodou.
Mais en 2025, la route vers la lumière est barrée par l’ombre des gangs. Les principales artères menant à Saut-d’Eau sont aujourd’hui sous le contrôle d’hommes armés, qui imposent leur loi par la violence, les enlèvements et l’intimidation. Résultat : le plus grand pèlerinage religieux d’Haïti n’a pas eu lieu cette année. Les processions sont annulées, les messes désertées, les hôtels vides, les marchés silencieux.
Une perte spirituelle, sociale et économique
Cette absence pèse lourd. Elle est d’abord spirituelle. Pour beaucoup, la fête de Saut-d’Eau est un moment de renouveau, d’expiation, de guérison. C’est là que les promesses sont tenues, que les maladies sont déposées dans l’eau, que les vœux se concrétisent. L’interruption de cette tradition n’est pas qu’un vide liturgique : c’est une fracture dans l’âme d’un peuple.
Mais c’est aussi une perte sociale. Ce pèlerinage favorise l’unité. Il rassemble, au-delà des appartenances politiques, religieuses ou sociales. Il efface, le temps de trois jours, les frontières invisibles de la haine et du désespoir. En 2025, cette trêve collective n’a pas eu lieu.
Enfin, c’est un choc économique. Pour les habitants de Saut-d’Eau, cette fête représente une manne annuelle. Hôtellerie, restauration, artisanat, transport : tout un microcosme survit grâce à ces trois jours d’effervescence. Cette année, les petits marchands, les guides, les aubergistes, tous sont restés les bras croisés. L’eau n’a pas coulé, et avec elle, l’espoir s’est tari.
Haïti n’est pas une République de terroristes
Quand on comprend que des milliers de pèlerins – Haïtiens et étrangers, riches et pauvres, croyants de toutes confessions – ont dû renoncer à ce pèlerinage à cause de la menace des gangs, on réalise que ce ne sont pas les Haïtiens qui ont changé, mais bien le contexte qui les emprisonne.
Ce peuple reste profondément spirituel, pacifique et résilient. Ce sont les armes qui ont remplacé les chants. Ce sont les chefs de gang qui dictent l’agenda sacré, non les fidèles. Et le monde doit savoir : Haïti n’est pas une République de terroristes. C’est un pays de foi, d’histoire et de miracles – qui, aujourd’hui encore, continue de résister aux ténèbres.
L’État haïtien en défaut
L’État, une fois de plus, a brillé par son absence. Ni sécurité renforcée, ni plan de redéploiement, ni message rassurant des autorités. Les responsables religieux ont été livrés à eux-mêmes. La population, abandonnée. Le gouvernement de transition, paralysé, semble incapable d’assurer ne serait-ce qu’un événement à haute valeur symbolique. À ce rythme, ce n’est pas seulement Saut-d’Eau qu’on perdra, mais tout un pan de notre identité nationale.
Ce 16 juillet 2025, Haïti n’a pas vibré au rythme des tambours, des Ave Maria ni des chants vodou. La cascade est restée solitaire. Mais ce silence n’est pas celui de la résignation. Il est celui de l’attente. Une attente que la paix revienne, que la République retrouve ses repères, et que la Vierge, peut-être, continue de veiller sur ce peuple qu’aucune épreuve n’a encore réussi à briser.
Rédaction : Zantray News