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L’affrontement tant redouté entre Leslie Voltaire, coordonnateur du Conseil présidentiel de transition (CPT), et le Premier ministre Garry Conille, est désormais une réalité. La récente correspondance envoyée par Voltaire à Conille soulève de nombreuses interrogations au sein de l’opinion publique : qui sortira vainqueur de cette bataille mal engagée pour le contrôle du pouvoir ? Voltaire a-t-il voulu raviver les tensions en rappelant que, selon sa lecture de la Constitution, le véritable pouvoir réside à la présidence et non à la primature ? Ce bras de fer s’inscrit dans un contexte de crise profonde qui menace l’existence même de l’État haïtien.
Depuis l’instauration du régime de 1987, la question de la cohabitation entre présidence et primature a toujours été source de tensions. Cette relation, qui aurait dû être harmonieuse, s’est souvent révélée conflictuelle, menaçant la stabilité du pays. Le duel entre Voltaire et Conille met en lumière la fragilité d’un système politique dysfonctionnel.
Un dilemme constitutionnel : cohabitation ou confrontation ?
L’historien et professeur de droit constitutionnel Claude Moïse qualifie cette situation de « dilemme constitutionnel ». En effet, la Constitution de 1987, censée garantir une séparation équilibrée des pouvoirs entre les deux têtes de l’exécutif, semble plutôt favoriser des affrontements constants. Le régime actuel de transition, bien qu’essayant de revêtir un vernis constitutionnel, montre des failles profondes dans son fonctionnement.
La Constitution prévoit que le président de la République nomme le Premier ministre, qui forme ensuite son gouvernement et sollicite un vote de confiance du Parlement. Mais ce mécanisme est-il toujours pertinent en l’absence d’un Parlement élu et d’un président légitime ? La discussion sur les pouvoirs distincts du président et du Premier ministre n’a peut-être pas lieu d’être dans un contexte où l’exécutif actuel fonctionne sans lien direct avec la Constitution.
Un pouvoir illégitime et des manipulations politiques
La réalité est que ce gouvernement de transition est né d’une entente politique entre des élites cherchant à maintenir un contrôle sur le pouvoir, en entraînant le suffrage universel. Ce régime, illégal et illégitime, détourne la Constitution pour justifier des actions qui n’ont rien à voir avec les principes démocratiques qu’elle a établis. La liaison entre le CPT et le gouvernement n’est pas fondée sur une base légale, mais bien politique.
Dans ce contexte, il est essentiel de rappeler que le dépositaire de la souveraineté nationale est véritable le peuple, qui devrait l’exercer à travers des élections libres et transparentes. L’absence de ce processus démocratique affaiblit la légitimité de l’exécutif actuel, qui fonctionne davantage sur les manœuvres de pouvoir que sur une véritable gouvernance constitutionnelle.
Le rôle du CPT : une autorité mal définie
Si le CPT revendique une autorité sur le gouvernement, il est paradoxal que cette instance se plaigne des actions de son « subordonné ». Comment un Premier ministre pourrait-il bloquer les décisions de celui qui détient le pouvoir suprême dans l’exécutif ? Cette situation révèle les ambiguïtés du régime haïtien, où la séparation des pouvoirs reste floue et mal définie.
La Constitution de 1987 a été conçue pour limiter les excès du pouvoir présidentiel en Haïti. Pourtant, l’interprétation de ses articles, notamment l’article 136, semble conférer au président une autorité disproportionnée. Si cette autorité est réelle, elle n’est cependant pas absolue. Le système politique haïtien exige que le président et le Premier ministre coopèrent pour assurer la bonne marche de l’État.
Vers une impasse politique ?
L’absence de collaboration entre les deux branches de l’exécutif met en péril la stabilité de l’État. Le modèle politique haïtien repose sur une neutralisation réciproque des pouvoirs du président et du Premier ministre, mais ce principe ne peut fonctionner que si les deux partis sont prêts à coopérer. Or, le conflit actuel entre Voltaire et Conille montre à quel point cette coopération est difficile à instaurer.
Le professeur Sonet Saint-Louis, spécialiste en droit constitutionnel, souligne que ce dysfonctionnement politique est exacerbé par l’absence de mécanismes institutionnels adaptés à la réalité haïtienne. Le modèle politique hérité de la Constitution de 1987, inspiré des systèmes étrangers, n’a jamais réellement pris racine dans la culture politique haïtienne.
Quel avenir pour Haïti ?
Alors que l’affrontement entre Voltaire et Conille se durcit, la question reste : comment sortir de cette impasse ? L’enjeu dépasse de loin un simple conflit de pouvoir, car il remet en question la légitimité et la viabilité du système politique haïtien dans son ensemble. Le peuple haïtien, déjà épuisé par des décennies de gouvernements inefficaces et corrompus, mérite une gouvernance qui répond à ses attentes et à ses besoins.
Pour sortir de cette crise, il est nécessaire que les acteurs politiques haïtiens prennent conscience de l’urgence de réformer en profondeur le système politique. Cela passe par l’organisation d’élections libres et transparentes, mais aussi par une révision de la Constitution pour l’adapter aux réalités du pays. Sans cela, le risque est grand de voir Haïti sombrer encore plus profondément dans le chaos.
Me Sonet Saint-Louis Professeur de droit constitutionnel à l’université d’État d’Haïti , [email protected]
Port-au-Prince, 14 octobre 2024