Quatre ans après l’assassinat brutal du président Jovenel Moïse dans sa résidence privée à Pèlerin 5, la quête de justice piétine dans le bruit cacophonique des petites salles ridicules des maisons d’habitation qui tiennent lieu de Tribunal. Pire encore, elle est détournée, instrumentalisée, confisquée. Les récents développements, notamment l’arrestation de l’homme d’affaires Pierre Réginald Boulos par le FBI, viennent frapper de plein fouet l’édifice déjà fragile d’un pays piégé par ses propres élites. Cet acte de justice étranger, effectué à des milliers de kilomètres de Port-au-Prince, éclaire crûment une vérité que beaucoup ici s’efforcent encore d’ensevelir : le crime du 7 juillet 2021 n’a jamais été un simple meurtre politique. C’est une opération stratégique, transnationale, financée, protégée, qui cache un système de corruption tentaculaire — au sommet duquel trônent encore ceux qui gouvernent, influencent, manipulent.
Une opération, pas un assassinat isolé
Ce qui s’est passé cette nuit-là dépasse l’entendement. Un commando de mercenaires colombiens entre sans résistance dans la résidence du chef de l’État. Il l’assassine avec une violence rare, pendant que ses agents de sécurité se cachent sous des véhicules, fuient ou collaborent. Ce n’était pas un acte de désespoir, mais une opération, froide, organisée, financée par des mains puissantes et protégée par des silences hauts placés.
Mais le plus glaçant, ce n’est pas l’exécution elle-même. C’est ce qui a suivi : le mutisme des institutions, le sabotage méthodique de l’enquête, la criminalisation des proches de la victime, la libération discrète des suspects influents. Et surtout, l’impunité absolue dont jouissent les commanditaires. Oui, quoi qu’en pensent les enquêteurs et les juges, il ne peut pas ne pas y avoir de commanditaires tant au niveau interne qu’externe.
Une justice à genoux ici, semi-debout ailleurs
En Haïti, aucune condamnation locale. La justice, prise en otage, préfère poursuivre les anciens collaborateurs de Moïse que de s’attaquer aux véritables architectes du crime. Pourtant, ailleurs, des choses avancent. Pour preuves:
• Rudolph Jaar, condamné à la prison à vie aux États-Unis.
• John Joël Joseph, ancien sénateur, proche ami de Dimitri Vorbe
• Mario Palacios, mercenaire colombien, condamné.
• Et aujourd’hui, Pierre Réginald Boulos, figure centrale de l’élite politico-financière haïtienne, arrêté par le FBI, accusé de complicité directe dans l’assassinat.
Ce que la justice haïtienne n’a pas eu le courage – ou la liberté – de faire, la justice étrangère l’a entamé. Et avec elle, c’est tout un système qui commence à trembler.
Boulos, symbole d’une élite qui se croyait intouchable
Réginald Boulos n’est pas un homme d’affaires comme les autres. C’est un stratège, un financier, un pêcheur en eau trouble. Il a bâti sa puissance dans les couloirs du pouvoir, en utilisant les partis politiques , les jeunes du gueto en dificultés comme levier, les médias comme outil d’influence, et les mouvements sociaux comme bras armés de feuilles d’arbres vivants, de pneus enflammés et surtout de revolvers et de fusils d’assaut.
Son opposition à Jovenel Moïse était publique, virulente, et méthodique. Pour certains, elle allait au-delà de la politique. C’était un plan de neutralisation, totale et définitive. Ainsi, son arrestation, à elle seule, crée un séisme dans les cercles du pouvoir haïtien, tant la plupart de ses membres étaient sous son contrôle. Silence gêné des élites, flottement dans les déclarations politiques, discrétion absolue dans les médias traditionnels. Tout indique que l’arbre ébranlé cache une forêt. Alors, si ce grand bonnet parle ou si des preuves s’accumulent contre lui, c’est tout un écosystème mafieux, politico-financier et judiciaire qui pourrait s’effondrer.
Quand les véritables suspects gouvernent
Le plus absurde ou pervers dans cette affaire, c’est que ce sont les anciens opposants de Jovenel Moïse qui dirigent aujourd’hui. Ou, à défaut, qui tirent les ficelles du pouvoir. Or, la justice se retourne contre les alliés de la victime alors que les bourreaux présumés siègent dans les salons climatisés du pouvoir. C’est un renversement moral total. Une gifle à la mémoire d’un peuple.
La famille Vorbe, autre grande force d’opposition au Président Moïse, empile les contrats publics, notamment dans le domaine des infrastructures routières. Des rumeurs évoquent même un retour en force du très controversé contrat “Blackout”, alors même que la coalition de gangs « Viv ansanm », historiquement proche de certains milieux d’affaires, avance vers le barrage stratégique de Péligre. Pourquoi ? Est-ce un moyen pour attribuer un nouveau « contrat blackaout »?
Même Dimitri Vorbe, longtemps en retrait, serait sur le point de signer son grand retour sur la scène des Affaires haïtiennes. Cela prouve une chose bien triste et choquante : pendant que la justice interroge les victimes, les véritables commanditaires ou bénéficiaires de l’assassinat récoltent les fruits du pouvoir durablement transitionnel.
Les questions que l’Histoire posera
Les générations futures liront ces faits avec stupeur. Elles demanderont :
• Comment un président a-t-il pu être assassiné sans que justice soit rendue ?
• Pourquoi les institutions haïtiennes ont-elles protégé les puissants au lieu de les poursuivre ?
• Pourquoi a-t-il fallu que la justice vienne de l’extérieur ?
• Et surtout : à qui a réellement profité la mort de Jovenel Moïse ?
une autre question cruciale dérange et reste sans réponse : pourquoi la justice haïtienne, les enquêteurs de la DCPJ et la majorité des journalistes ténors évitent-ils systématiquement d’explorer la piste de la bourgeoisie haïtienne? Des figures comme Pierre Réginald Boulos et Dimitri Vorbe, pourtant farouches opposants au président défunt, n’ont jamais été inquiétées, ni interrogées, ni même citées officiellement par aucun juge d’instruction comme si l’élite économique bénéficiait d’une immunité tacite. Ce silence n’est plus une négligence, c’est une forme de complicité par omission.
Ce n’est peut-être que le début
L’arrestation de Boulos n’est pas une fin. C’est peut-être un début pour faire tomber tous les commanditaires. Mais soyons lucides : Boulos n’est ni le seul, ni le pire. Il y a des hommes d’affaires sanctionnés pour complicité et financements des groupes criminels en Haïti. Les vrais maîtres du chaos, les barons de l’ombre, les architectes du mensonge, sont encore là. Intacts. Intouchés. Et peut-être déjà en train d’écrire le prochain épisode.
À défaut de justice, ce sont les assassins qui écriront l’Histoire
L’assassinat odieux de Jovenel Moïse restera une tache sur la conscience nationale. Mais cette tache peut devenir le point de focalisation du changement si l’on ose regarder en face nos lâchetés, nos silences et nos complicités.
Sinon, les bourreaux continueront de gouverner, et les victimes, une fois encore, seront condamnées à se taire.
Même la pluie, en tombant sur cette terre cassée, n’a plus assez d’encre pour écrire cette vérité.
Rédaction: Zantray News haitj