La présentation du projet pilote de la carte numérique d’embarquement et de débarquement « iKat », tenue en grande pompe à l’Hôtel El Rancho le 4 décembre 2025, aura davantage ressemblé à une cérémonie d’autocongratulation qu’à une véritable démonstration de transparence technologique. Sous le leadership revendiqué du Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé, la Direction de l’Immigration et de l’Émigration (DIE) a dévoilé un dispositif qui, s’il promet modernisation et efficacité, laisse surtout planer de nombreuses zones d’ombre.
Autour du Premier ministre, du Conseil Présidentiel de Transition (CPT), de divers ministères et de partenaires techniques et financiers, l’événement a mis en scène une longue procession de saluts officiels. Le Directeur général de la DIE, Antoine Jean Simon Fénelon, s’est illustré par un hommage particulièrement appuyé à « Son Excellence le Premier ministre », présenté comme l’artisan visionnaire du projet. Une emphase qui, pour beaucoup d’observateurs, semble davantage tenir du geste politique que d’une démonstration concrète des avantages réels de la « iKat ».
Le gouvernement affirme que la carte numérique doit remplacer la carte physique traditionnelle, grâce à une souscription en ligne établie 72 heures avant le voyage. Selon le communiqué, l’objectif est d’« optimiser la gestion du flux migratoire », de centraliser les données, de permettre un « contrôle a priori et a posteriori » et de produire des statistiques fiables. Sur le papier, tout paraît impeccable. Mais la présentation n’a apporté aucune précision sur les aspects pratiques : protection des données personnelles, accessibilité dans un pays où la connectivité reste inégale, garanties pour les voyageurs, ou encore risques de ralentissements administratifs pour ceux qui ne maîtrisent pas les procédures numériques.
La présence appuyée de l’Institut Haïtien de Statistique et d’Informatique (IHSI) comme partenaire technique n’a pas suffi à combler le manque d’explications détaillées sur la mise en œuvre du système, la vérification de son efficacité, ou l’évaluation du risque d’exclusion pour certains usagers. L’insistance du gouvernement sur la « volonté de renforcer la gouvernance migratoire » semble, pour l’instant, s’appuyer davantage sur la rhétorique institutionnelle que sur des réponses concrètes aux inquiétudes légitimes que soulève une telle transition numérique.
Aucune information n’a été fournie sur les coûts du projet, sur l’origine précise des financements, ni sur les mécanismes de contrôle dont disposeront les voyageurs pour vérifier l’usage qui sera fait de leurs données centralisées. Le discours officiel rejoue une promesse bien connue : moderniser, sécuriser, innover. Mais sans démonstration publique, sans période de test accessible, sans consultation des usagers, le décalage reste immense entre le discours solennel d’El Rancho et la réalité administrative que vivent les voyageurs à l’aéroport de Port-au-Prince.
En définitive, la « iKat » apparaît pour l’instant comme un projet enveloppé dans une communication gouvernementale brillante mais peu consistante. Les citoyens, eux, attendent autre chose qu’une nouvelle cérémonie : des garanties, de la transparence, et une véritable preuve que cette modernisation annoncée ne se transformera pas en un obstacle supplémentaire dans un système migratoire déjà lourd et complexe.
Mozard Lombard,
mozardolombardo@gmail.com