Éditorial : Le CPT démantèle la caisse de l’État, et les gangs, eux, décapitent celle de la population

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En Haïti, le chaos ne se limite plus à la rue. Il s’inscrit désormais dans les couloirs de l’administration publique comme dans les zones rouges de la capitale. Un constat glaçant s’impose : pendant que le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) déconstruit pierre après pierre les maigres fondations institutionnelles de l’État, les gangs armés, eux, s’emploient à écraser ce qu’il reste de la dignité populaire. Deux visages d’une même faillite : celui du pouvoir officiel, inefficace et corrompu ; et celui du pouvoir de fait, brutal et sans pitié.

Depuis plus d’un an, le CPT multiplie les promesses non tenues. Pourtant chargé d’une mission exceptionnelle – rétablir l’ordre républicain, garantir la sécurité, préparer des élections – il se distingue surtout par son inaction, son opacité et une propension inquiétante à gérer l’État comme une entreprise privée. Les accusations de détournement de fonds publics, de marchés de gré à gré, et de favoritisme politique, sont légion. Des fonds ont été décaissés, mais rien ne filtre. Aucune reddition de comptes. Aucun bilan clair. Pendant ce temps, l’économie nationale se délite, les institutions se vident de leur substance, et la population, déjà étranglée, est abandonnée à elle-même.

Mais pendant que le pouvoir officiel siphonne la caisse de l’État, une autre caisse, plus tragique, est ouverte et saignée chaque jour : celle de la population. Les gangs contrôlent plus de 80 % de la zone métropolitaine. Ils extorquent, kidnappent, violent, tuent. Ils ont transformé des quartiers entiers en zones de non-droit. Des familles entières fuient sous la menace, des écoles ferment, des hôpitaux suspendent leurs activités, des axes routiers vitaux sont verrouillés. Et malgré cette situation d’effondrement généralisé, le CPT s’emmure dans un silence assourdissant, si ce n’est pour dénoncer la “complexité de la transition”.

Et à ce stade, une question s’impose, presque cynique dans sa simplicité : au lieu de s’octroyer une nouvelle année d’échec, les membres du CPT ne pourraient-ils pas, par un sursaut de conscience – ou peut-être simplement par l’envie de jouir tranquillement de leur nouvelle fortune – choisir de quitter le pouvoir ? Qu’ils s’épargnent une autre année de dissimulation, d’angoisse et de compromis avec l’enfer, et qu’ils aillent profiter de ce qu’ils ont volé, loin des rafales de gangs qui, tôt ou tard, finiront par ne plus distinguer les puissants des otages.

Ce double pillage — institutionnel d’un côté, criminel de l’autre — n’est pas une coïncidence. Il révèle un abandon total de l’État. Il illustre surtout l’absence d’un leadership visionnaire, capable de faire barrage à l’impunité. Le CPT ne gouverne pas : il gère sa propre survie politique. Les gangs ne contestent pas l’État : ils l’ont remplacé là où il a déserté.

Dans ce contexte, l’ironie est cruelle : les membres du CPT parlent de “refondation de l’État” pendant que l’appareil public est désossé à coups de nominations partisanes et de décisions clientélistes. Les groupes armés, eux, “organisent” la vie sociale selon leur loi, distribuent les vivres quand l’État est absent, et deviennent pour certains quartiers les seuls interlocuteurs “efficaces”.

Il serait irresponsable de rester silencieux. L’avenir d’Haïti ne peut pas être laissé entre les mains de deux forces qui, chacune à leur manière, contribuent à la destruction du tissu social. Une transition véritablement patriotique suppose courage, lucidité et rupture. Rupture avec l’impunité, rupture avec les pratiques opaques, rupture avec la politique de façade.

Le peuple haïtien ne demande pas la lune : il exige la sécurité, la justice, la transparence. Et surtout, il exige qu’on cesse de vider ses poches pendant qu’on tue ses enfants.

Rédaction : Zantray News

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