Port-au-Prince a accueilli, le 17 décembre 2025, la 4e édition de la Conférence des Ambassadeurs de la République d’Haïti, organisée dans le confort feutré de l’Hôtel Kinam. Autour du Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé, du Président du Conseil présidentiel de Transition Laurent Saint Cyr, de plusieurs Conseillers-Présidents, ministres, ambassadeurs et dignitaires, l’État haïtien s’est livré à un exercice désormais bien rodé : parler beaucoup, promettre plus encore, et se féliciter de sa propre détermination.
Le thème choisi — « Une diplomatie haïtienne au service des priorités nationales » — sonne comme une évidence tardive. Faut-il vraiment attendre une quatrième conférence pour rappeler que la diplomatie devrait servir les priorités du pays ? La rencontre, présentée comme le point de départ d’une réflexion stratégique pour les vingt-cinq prochaines années, illustre surtout une fuite en avant dans l’abstraction, à un moment où l’année 2025 est elle-même décrite par le gouvernement comme marquée par des défis sécuritaires, humanitaires et politiques majeurs.
Le Premier ministre a rendu hommage aux ambassadeurs et consuls pour leur engagement à défendre l’image d’Haïti à l’international. Une image que le même discours reconnaît pourtant comme gravement compromise par l’insécurité et la crise nationale. L’hommage ressemble ainsi moins à une reconnaissance qu’à une tentative de masquer, par des formules convenues, l’ampleur du gouffre entre les paroles officielles et la réalité qu’elles admettent implicitement.
Dans une allocution aux accents martiaux, Alix Didier Fils-Aimé a affirmé agir avec « méthode, courage et constance », plaçant la sécurité « au cœur de l’action gouvernementale ». La déclaration est solennelle, presque dramatique : « Sans sécurité, il n’y a ni État, ni économie, ni démocratie, ni dignité humaine. » Mais cette litanie de principes fondamentaux, répétée dans un cadre diplomatique, pose une question simple et dérangeante : si tout dépend de la sécurité, pourquoi faut-il encore la proclamer comme une promesse plutôt que comme un acquis ?
La désignation des gangs armés comme « ennemis de la République » marque une posture ferme sur le plan rhétorique. Elle ne dit cependant rien de concret sur la capacité réelle de l’État, tel qu’il se présente lui-même, à imposer son autorité. Là encore, la conférence semble préférer l’incantation à l’action, le slogan à la stratégie tangible.
On annonce une diplomatie « active, stratégique et tournée vers le partenariat gagnant-gagnant », ainsi qu’une modernisation des normes de gestion des représentations diplomatiques. Mais ces ambitions, répétées devant un parterre de responsables déjà convaincus, restent enfermées dans le cercle étroit des déclarations officielles. Le peuple haïtien, pourtant invoqué comme bénéficiaire ultime de cette diplomatie rénovée, demeure absent de la salle et invisible dans les décisions annoncées.
En exhortant le ministère des Affaires étrangères et des Cultes à promouvoir une diplomatie « cohérente, responsable et alignée sur les priorités nationales », le gouvernement reconnaît implicitement que cette cohérence et cet alignement font défaut. Cette conférence, loin d’apparaître comme un tournant historique, ressemble davantage à un aveu : celui d’un État en quête de crédibilité, qui projette sur l’horizon des vingt-cinq prochaines années ce qu’il peine manifestement à garantir aujourd’hui.
Sous les lustres de l’Hôtel Kinam, la diplomatie haïtienne s’est rêvée forte et tournée vers l’avenir. Mais à force de discours solennels et de promesses grandiloquentes, elle donne surtout l’impression de tourner en rond, pendant que l’urgence nationale, pourtant reconnue dans chaque phrase, continue d’attendre autre chose que des mots.
Mozard Lombard,
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