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Par Jean Raynald Boyer
En novembre 2021, des files interminables de véhicules serpentaient devant des stations-service désespérément vides à Port-au-Prince. Hôpitaux, écoles et entreprises étaient paralysés, révélant une infrastructure énergétique centralisée et vulnérable face aux crises récurrentes. Ce tableau, loin d’être un épisode isolé, reflète un problème systémique qui continue de mettre en péril l’économie et la stabilité sociale d’Haïti.
Entre 2020 et 2024, la distribution de carburants a été maintes fois paralysée par des blocages causés par des gangs armés, l’instabilité politique et des catastrophes naturelles. À titre d’exemple, le 18 novembre 2024, le président de l’Association Nationale des Propriétaires de Stations-Service (ANAPROSS) déclarait que, bien que le carburant soit disponible dans les terminaux, l’absence de moyens logistiques rendait impossible son acheminement vers les stations. Ces crises successives ont mis en lumière l’urgence de revoir un système énergétique centralisé et fragile. Pour garantir un approvisionnement équitable et stable, une décentralisation des infrastructures pétrolières est essentielle.
Un système centralisé aux failles structurelles
Actuellement, Haïti repose presque exclusivement sur trois terminaux pétroliers situés dans l’Ouest : Varreux, Thor et Martissant. Ces infrastructures concentrent toutes les importations de carburant, créant un goulot d’étranglement critique. Un blocage ou une attaque à Port-au-Prince suffit pour priver le pays entier de carburant, exacerbant les pénuries dans les régions les plus éloignées.
Ce modèle amplifie également les déséquilibres. Environ 60 % des capacités de stockage sont consacrées au diesel, laissant d’autres carburants comme la gasoline sous-approvisionnés. La centralisation engendre des itinéraires longs et dangereux pour les camions-citernes, augmentant les coûts et les risques de vol.
Décentraliser : une réponse stratégique et logistique
La décentralisation des infrastructures de stockage offre une solution évidente et durable pour renforcer la résilience énergétique. En répartissant des installations régionales dans le Nord et le Sud, Haïti pourrait :
- Réduire sa dépendance à Port-au-Prince : Des terminaux régionaux autonomes garantiraient un approvisionnement continu, même en cas de crise dans la capitale.
- Diminuer les coûts et les risques : Les distances parcourues par les camions seraient réduites, limitant les vols et accélérant les livraisons.
- Améliorer l’équité régionale : Les régions éloignées, souvent les plus touchées par les pénuries, bénéficieraient d’un accès plus régulier au carburant.
Cette approche exige toutefois un engagement ferme de l’État pour sécuriser les infrastructures et les voies de transport critiques.
Leçons des voisins : le modèle dominicain
La République dominicaine offre un exemple réussi d’infrastructure décentralisée. Ses terminaux de stockage sont répartis stratégiquement à Saint-Domingue, Haina, San Pedro de Macorís, Puerto Plata et Azua. Ce réseau résilient a permis une reprise rapide après des crises majeures, comme l’ouragan Maria en 2017. Haïti pourrait s’inspirer de cette organisation pour bâtir un système plus robuste.
Un avenir durable grâce aux énergies renouvelables
Si la décentralisation des terminaux est un premier pas, elle ne suffit pas pour garantir la sécurité énergétique d’Haïti. Le pays doit également investir dans les énergies renouvelables. Les micro-réseaux solaires, par exemple, pourraient réduire la dépendance au carburant importé et fournir une énergie stable, notamment dans les zones rurales.
Des pays comme la Jamaïque et Porto Rico montrent la voie. La Jamaïque a diversifié ses sources d’énergie avec des projets solaires et éoliens, tandis que Porto Rico utilise des micro-réseaux pour alimenter des infrastructures critiques en période de crise.
Un appel à l’action
Face à des crises récurrentes, Haïti ne peut plus se permettre de maintenir un système énergétique aussi vulnérable. La décentralisation des infrastructures, combinée à des investissements dans les énergies renouvelables, constitue une stratégie viable et éprouvée pour briser le cycle des pénuries. Il revient à l’État de mener cette transition, en collaboration avec les acteurs du secteur pétrolier et les investisseurs, pour bâtir une infrastructure énergétique résiliente, diversifiée et capable de répondre aux besoins de la population.