Et si le Ministère de la Culture et de la Communication (MCC) d’Haïti franchissait un cap décisif en modernisant le financement des activités culturelles ? Dans un contexte de crise économique et politique persistante, la culture reste l’un des rares piliers vivants de la nation. Pourtant, les initiatives culturelles, nombreuses et dynamiques à travers tout le territoire, peinent à obtenir le soutien qu’elles méritent.
Haïti est un vivier de créativité reconnu au niveau international. La Banque Interaméricaine de Développement (BID) soulignait déjà en 2018 que « Haïti est connue pour la richesse de ses traditions culturelles et la créativité de ses artistes ». De l’artisanat vodou aux écrivains et musiciens influents de la diaspora, la culture haïtienne rayonne bien au-delà de ses frontières. Mais cette vitalité artistique reste trop souvent marginalisée dans les politiques publiques nationales.
Un pays culturellement actif mais institutionnellement négligé
De Gonaïves aux Cayes, en passant par Ouanaminthe, Cap-Haïtien ou Port-de-Paix, des festivals, salons du livre, concours, marchés de Noël ou événements poétiques sont organisés par des acteurs locaux. À l’Artibonite, le festival Pen GONAÏVES PAWOLI célèbre la littérature contemporaine ; à Jérémie, le Festival national de la poésie fait vibrer les mots ; dans le Sud, Okay ap li donne vie aux livres. Ces activités, bien que nombreuses et structurées, ne bénéficient pas d’un appui institutionnel cohérent.
Qu’est-ce qu’un financement culturel moderne ?
Le financement culturel désigne l’ensemble des ressources allouées à des initiatives artistiques, allant de subventions aux festivals à des bourses pour écrivains. L’UNESCO, via son Fonds international pour la diversité culturelle (FIDC), promeut un modèle de financement fondé sur l’appel à projets, l’équité et la transparence. Ce modèle peut inspirer Haïti.
Selon la BID, une politique de financement de la culture doit reposer sur :
- des subventions directes,
- des mesures fiscales incitatives,
- des partenariats publics-privés,
- une stratégie claire d’inclusion culturelle.
Une plateforme numérique et des appels à projets pour plus d’équité
Moderniser le système, c’est d’abord numériser les démarches : créer une plateforme en ligne pour soumettre les projets, assurer leur suivi, publier les bénéficiaires et les montants alloués. Ensuite, il faut que les subventions soient accessibles via des appels à projets nationaux et régionaux. Cela garantirait une distribution équitable des ressources, loin de la centralisation à Port-au-Prince.
Les critères de sélection doivent être publics et objectifs : pertinence culturelle, portée géographique, impact social, faisabilité. De plus, les bénéficiaires doivent rendre des comptes à travers des rapports financiers et narratifs.
Pour une politique culturelle décentralisée et inclusive
Une véritable politique de financement ne doit pas favoriser une élite urbaine ou politisée. Elle doit reconnaître toutes les formes d’expressions culturelles – du Rara au théâtre populaire – comme patrimoine vivant. Elle doit aussi rétablir l’équilibre entre les villes de province et la capitale. Un financement équitable renforcerait l’économie créative, créerait des emplois et permettrait à la jeunesse haïtienne d’oser l’art comme moyen d’émancipation.
En conclusion
La culture est un levier de développement, de cohésion sociale et d’identité nationale. La modernisation du financement culturel n’est plus une option mais une urgence. Le MCC est interpellé : il est temps de passer à une gouvernance culturelle équitable, numérique et décentralisée. Soutenir la culture, c’est investir dans l’avenir d’Haïti.
Mozard Lombard,
mozardolombardo@gmail.com